Livret A : son taux doit-il toujours être fixé uniquement par le gouvernement ?

Le Livret A est un sujet sensible. Certains remettent en question la pertinence du pouvoir donné au gouvernement pour fixer son taux. Cette question mérite une attention particulière.

© LP/Matthieu de Martignac

Le 13 juillet 2023, Bruno Le Maire a annoncé que le taux du Livret A resterait à 3% pour les 18 prochains mois. Cela a suscité une réaction négative des épargnants, comme indiqué dans un article de Moneyvox. Un recours a été déposé devant le Conseil d’Etat concernant la légalité de cette décision. Le gouvernement a souvent manipulé la formule de calcul pour fixer le taux du Livret A, qui dépend de l’inflation hors tabac et des taux courts interbancaires.

Livret A: contre la fixation administrative des taux de l’épargne réglementée

Pour rappel, avant 2004, le taux de rémunération de l’épargne populaire était fixé par décret ou par un comité. Ainsi, le taux du Livret A était considéré par l’opinion publique comme un choix politique, piloté par l’exécutif. En 2003, un rapport recommandant l’indexation automatique du taux du Livret A a été signé par Christian Noyer et Philippe Nasse. Cette proposition a été mise en œuvre à partir de juillet 2004. Toutefois, l’exécutif peut déroger à la nouvelle règle en cas de circonstances exceptionnelles et fixer lui-même le taux sur proposition de la Banque de France.

Les changements de taux du Livret A

La formule de calcul du taux du Livret A a été ajustée à plusieurs reprises depuis 2003. Et ce, pour trouver un compromis entre les intérêts des épargnants (un rendement supérieur à l’inflation) et les besoins des banques et des emprunteurs (un taux proche des taux du marché pour leurs prêts). En 2018, la règle selon laquelle le taux ne pouvait pas être inférieur à l’inflation hors tabac a été supprimée.

Le pouvoir de dérogation est resté. Et la dérogation en cas de « circonstances exceptionnelles », qui devait être l’exception, est devenue la règle. Au cours des dernières années, la révision automatique n’a eu lieu qu’à deux reprises :

  • le 1er août 2022 pour augmenter le taux de 1% à 2% ;
  • le 1er février 2020 pour le ramener de 0,75% à 0,50%.

Le pouvoir de dérogation a été utilisé à 10 reprises, mais seulement 3 fois pour limiter une hausse du taux :

  • le 1er février 2023, lorsque le taux, attendu à 3,30%, a été fixé à 3% ;
  • en août 2017, pour limiter le taux à 0,75%, alors qu’il était attendu à 1%.
  • en août 2023, donc, pour empêcher la hausse à 4,10%.

Autres interventions

Les autres interventions du gouvernement ont été plutôt favorables aux épargnants, dans un contexte très particulier. Au cœur de la décennie 2010, face à la faiblesse de l’inflation et des taux du marché, les pouvoirs publics ont choisi de lisser la baisse du taux du Livret A, qui aurait pu atteindre 0,25% dès le 1er février 2015. Des dérogations sont ainsi intervenues en février et août 2013. Puis, en février et août 2015. Ensuite, en février et août 2016. Et finalement, avant que le gouvernement ne décide, déjà, de geler le taux à 0,75% de décembre 2017 à janvier 2020.

Philippe Crevel, économiste, explique que le Livret A est un produit d’épargne très spécifique à la France qui prend en compte des considérations sociales et politiques en plus des facteurs économiques. Par conséquent, une formule mathématique ne peut pas rendre compte de la complexité de ce produit particulier et sacralisé. Selon lui, « La dépolitisation de la fixation du taux, initiée en 2003, a été un échec complet. »

Simplification du Livret A ?

Comment régler cette situation ? Est-il possible de fixer le taux du Livret A par décret gouvernemental ou de laisser les banques décider elles-mêmes ? Cyril Blesson, associé chez Pair Conseil, pense que cela semble compliqué. Pourquoi ne pas simplifier les choses ? L’indexation du taux du Livret A sur celui de la Banque centrale européenne serait une solution plus simple et plus efficace pour lutter contre l’inflation. Cette institution est indépendante des pressions politiques et sa vocation est de fixer les taux d’intérêt pour lutter contre l’inflation et l’érosion de la valeur des patrimoines.

Le Livret A resterait toujours attractif puisque son rendement est net de prélèvements sociaux et d’impôt. En bref, il faudrait supprimer le pouvoir de dérogation de la Banque de France et la référence à l’inflation. Le taux de la facilité de dépôt de la BCE est actuellement fixé à 3,25 %. Aussi, il devrait continuer à augmenter dans les mois à venir. Le Livret A n’a pas toujours été un bon rempart contre l’inflation. Toutefois, l’impact symbolique d’un tel choix serait imprévisible. Selon Philippe Crevel, cette option est envisageable. Cependant, elle pourrait rendre le Livret A banal et donc renoncer à sa sacralité. Le gouvernement qui prendrait un tel risque politique n’est sans doute pas encore né.