Crise du logement : les raisons de la forte baisse du nombre de maisons et d’appartements à louer

Le marché locatif rencontre des problèmes en raison de l'accès de plus en plus difficile à la propriété et de la saturation des logements sociaux. Cette situation crée une crise du logement que le gouvernement envisage de résoudre.

© Die Tageszeitung

Sophie, 39 ans, est mère célibataire et vit dans un petit appartement à Noisy-le-Grand, en banlieue parisienne (Seine-Saint-Denis). Elle dort sur un matelas dans son salon depuis plus de dix ans, car elle n’arrive pas à trouver un logement plus grand malgré son salaire de 1 600 euros et une pension et une allocation de 400 euros. Elle a essayé de postuler pour un logement social, mais n’a jamais avancé dans son dossier. Une fois, elle a appelé une agence immobilière pour visiter un appartement, mais le gars qui a répondu au téléphone s’est moqué d’elle et a mal raccroché. Elle en a pleuré.

Le cas de Sophie est malheureusement courant. Depuis plusieurs années, il est de plus en plus difficile de trouver un logement à louer en France. Selon un rapport du site Bien’ici, qui regroupe les annonces immobilières des principales agences françaises, l’offre de biens à louer a été divisée par deux entre 2019 et 2023. Et la situation s’est encore aggravée ces derniers mois. Au premier trimestre 2023, l’offre était inférieure de 17% à celle de début 2022. Emmanuel Trouillard, chargé d’études logement à l’Institut Paris Région, confirme qu’il y a une forte tension sur l’offre locative, principalement dans les grandes villes.

Les associations d’aide au logement estiment que le gouvernement ne fait pas assez pour aider les personnes qui ont du mal à trouver un logement. Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé-Pierre, s’exaspère dans une tribune publiée dans La Croix : « Alors que cette crise frappe des millions de personnes, le gouvernement se hâte lentement ».

Le Conseil national de la refondation a proposé de nombreuses mesures pour améliorer la situation du logement en France. Le ministre en charge du dossier, Olivier Klein, a assuré que le logement est une priorité pour le gouvernement. Cependant, la résolution de cette crise pourrait être difficile en raison de la complexité des facteurs qui y ont contribué.

Devenir propriétaire est de plus en plus difficile

Les agences immobilières ont peu de biens à louer, ce qui n’est pas habituel à cette période de l’année. Les marchés se bloquent et il devient difficile de devenir propriétaire, ce qui explique pourquoi les acheteurs sont devenus rares. Les taux d’intérêt ont augmenté et les conditions d’octroi des prêts se sont durcies, ce qui rend l’accession à la propriété plus difficile. Les personnes qui ne peuvent pas devenir propriétaires restent locataires, ce qui ne libère pas de biens en location pour les nouveaux arrivants sur le marché.

Audrey, assistante de direction de 43 ans, connaît bien cette situation. Elle a tout ce qu’il faut pour devenir propriétaire, mais sa famille ne peut pas quitter son logement en banlieue lyonnaise. « Devenir propriétaire est de plus en plus difficile. Nous sommes nés ici, nous travaillons ici et nous ne pouvons toujours pas nous payer une maison à cause des prix exorbitants », confie cette mère de deux enfants. C’est un exemple typique de « blocage du parcours résidentiel », souligné par Emmanuel Trouillard, de l’Institut Paris Région.

Appartements sociaux surchargés

Le marché de la location est bloqué non seulement par les propriétaires, mais aussi par l’accès limité aux appartements sociaux. Selon la Fondation Abbé-Pierre, environ 2,3 millions de ménages précaires attendent un logement social. La situation ne cesse de s’aggraver chaque année, avec un nombre de constructions inférieur aux objectifs du gouvernement et une baisse des dotations. « Il y a eu beaucoup moins d’efforts budgétaires qui ont été faits sur le parc social », explique Pierre Madec, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Le ministre délégué au Logement, Olivier Klein, blâme la responsabilité de certains élus locaux « qui ont refusé de signer des permis de construire ».

Difficultés sur le marché locatif

Le marché locatif rencontre de nombreux défis, notamment le manque de logements sociaux et l’accès difficile à la propriété. Selon Emmanuel Trouillard, chargé d’études sur le logement à l’Institut Paris Région, ces problèmes ont un impact négatif sur le marché locatif. Les orientations politiques et fiscales d’Emmanuel Macron ont également découragé les investisseurs de l’immobilier locatif, selon les économistes interrogés. Par exemple, le remplacement de l’ISF par l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) a découragé les ménages les plus aisés d’investir dans l’immobilier locatif. Le nombre de logements autorisés à la construction a continué de baisser en début d’année 2023, selon les chiffres du ministère de la Transition écologique. Cette tendance est accentuée par la guerre en Ukraine et l’inflation des matériaux de construction.

Investisseurs préférant les locations saisonnières

Les investisseurs qui continuent à investir dans l’immobilier sont également tentés de placer leurs biens en dehors du circuit de la location de longue durée. Selon Emmanuel Trouillard, depuis les années 2010, le développement du parc des locations saisonnières, comme Airbnb, a grignoté le parc locatif sur le long terme et contrecarré les efforts de construction.

Cependant, l’exécutif ne semble pas prêt à inverser la tendance. L’Assemblée nationale a reporté l’examen d’une proposition de loi visant à réguler ces locations et à réduire leurs avantages fiscaux.

Les professionnels de l’immobilier pointent également du doigt l’interdiction de louer les logements les plus énergivores, classés G, depuis le 1er janvier 2023. Cela a entraîné des réactions négatives de la part des agents immobiliers, qui considèrent cette mesure comme inutile. Selon Emmanuel Trouillard, bien que moins de 2% des habitations soient concernées, « il s’agit prioritairement des petits appartements anciens au cœur des grandes métropoles, typiquement là où il y a le plus de besoins ». La rénovation thermique des bâtiments est essentielle, mais aurait dû être lancée bien plus tôt pour éviter d’écarter de nombreux biens du marché.

« Le logement est totalement ignoré par le gouvernement »

Face à ces problèmes, quelles solutions peuvent être proposées ? L’économiste Pierre Madec suggère de mieux aider les ménages les plus pauvres à court terme pour qu’ils puissent se permettre un logement. Il note que l’effet inflationniste de ces aides est réduit par l’encadrement des loyers. L’économiste suggère également de changer les discours pour inciter les ménages les plus riches à investir dans des locations et d’augmenter les fonds consacrés aux logements sociaux. Néanmoins, il reste encore beaucoup à faire. Virginie Monvoisin, membre de l’association Les Economistes atterrés, déplore que le gouvernement ignore complètement le problème du logement pour l’instant.

« Peut-être que le gouvernement a peur, car la crise du logement est une question délicate. On est confronté à de nombreux problèmes, c’est un sujet qui peut être explosif. » Virginie Monvoisin, professeure d’économie, sur Franceinfo

Après plusieurs mois de discussions, le ministre a assuré que toutes les mesures présentées lors du Conseil national de la refondation sur le logement seront étudiées et largement reprises. Olivier Klein avait également affirmé, fin avril sur France Culture, que rien ne serait caché.

En attendant, de plus en plus de locataires doivent se contenter de logements inadaptés, déplore la Fondation Abbé-Pierre. Parmi eux, Sophie, qui doit encore aller chercher ses habits dans la chambre de son fils, enjamber le Tancarville dans le couloir et sortir son matelas du placard pour dormir au milieu du salon, avec vue sur sa petite cuisine ouverte. Elle avoue que c’est épuisant et que cela affecte sa morale, mais elle ne peut rien y faire. Elle est obligée de rester où elle est.